Histoire
I - Une vie de chienLa routine sait être effrayante. Depuis que je suis chiot je ne fais qu'obéir encore et toujours. Très tôt un collier me fut offert tel le plus venimeux des cadeaux, m'attachant par le fait à cette vie que je haïssais autant que je l'aimais. Il le fallait, pour survivre sans devenir fou, que j'y provoque un quelconque attachement. Les mois passaient, puis finalement les années. Des années d'entraînement, d'ordres aboyés, nos noms sifflés d'une odieuse manière.
« Roscoe, Desoto! Allez-y »Par peur d'être punis, d'être frappé comme lors de nos entraînements, nous obéissions. Puis peu à peu l'amusement s'est installé, et nous tirions satisfaction de nos victoires. Le Maître n'était pas mauvais avec nous en soit du moment que nous obéissions bien. Nous mangions plus que nécessaire, nous faisions des exercices pour nous maintenir en forme et on avait de l'action. Au fil du temps j'ai adhéré à cett idéologie.
Notre rôle principal était d'effrayer ceux qui n'avaient pas remboursé le Maître dans le délais imparti afin qu'ils se mettent sérieusement à la collecte d'argent. D'ailleurs, nous avions notre proie favorite : Fagin et sa bande de cabot. Roublard, le petit cabris espagnol, Einstein, Francis et la sublissime Rita.
Mais peu importe notre attachement au métier, ce qu'on ne pouvait nier, c'était la lassitude qui pointait le bout de son museau. Courir après les mêmes proies tous les jours était épuisant. Et malgré mes sourires, mes tentatives de flirt auprès de Rita, chaque fois que mes pattes foulaient le sol avec rapidité, je ne pouvais m'empêcher de me demander quelle serait ma vie si, pour une fois, je jouais le gentil ?
II - Comme Chien et ChatPenser à jouer au gentil, c'est bien beau, mais quand votre esprit est focalisé sur une nouvelle proie, on oublie bien vite ces absurdes pensées. Je me rappelle de l'odeur qu'il y eu dans leur planque ce soir là. ça puait le chat mouillé, c'était infecte.
Il y eu aussi la douleur qui suivit son repérage : ses griffes de chaton entaillant profondément ma truffe. Dès lors j'ai juré de faire payer à cette boule de poils rousse tous les malheurs du monde jusqu'au jour de sa naissance. C'est ce qu'on fit, le Maître, Roscoe et moi, allant jusqu'à le kidnapper Oliver. Les motivations du Maître étaient toutes autres, mais moi, tout me satisfaisait du moment que je pouvais écourter la vie de ce matou en plongeant mes crocs dans sa nuque.
III - Ne croire qu'en soit.Y a-t-il vraiment besoin de préciser la fin de cette affaire ? C'est joyeux copains accompagnés d'une belle inconnue puant la classe ont débarqués dans notre planque afin de mettre fin à notre projet. Nous aurions pu gagner bien évidemment si le Maître n'avait pas fait de fausses manoeuvres et qu'il ne nous avait pas envoyé au front plutôt que nous garder sous la main en coup de poker magistral. Comment voulez-vous tenir en équilibre sur une limousine roulant pleins feux sur des rails ?!
Tout en se battant qui plus est ?! Je n'ai pas tenu cinq minutes et je me suis lamentablement échoué sur les rails, passant sous les roues de la voiture, sans que personne ne vienne s'occuper de moi. A ce moment là, avant que ma conscience ne quitte mon corps, j'ai compris que pour survivre il me fallait vivre seul, ne compter sur l'aide de personne d'autre que Roscoe, que j'ai toujours grandement estimé. Mais pour le coup, c'était trop tard, et la douleur paralysant mon corps, j'ai fermé les yeux et laissé ma tête retomber.
IV - Mais waf the fuck ?! Moi qui me pensais mort, qui me sentais lourd, me voilà réveillé.Pas bien longtemps, juste quelques secondes, avant de replonger dans l'inconscience.
Le réveil suivant fut moins tendre, plus douloureux. Une douleur à la tête me prit, et instinctivement je portais une main à ma tempe, découvrant avec horreur un bandage. Ma tête, mes tempes et...de longs poils sur le dessus ?! Aussi douloureux que soit l'effort d'entrouvrir la gueule, je me permis de crier avec horreur un « Mais Waf the Fuck ?! » sonore. D'ailleurs aussitôt ceci dit, une personne complètement étrangère accourue. Un homme d'une vingtaine d'année, son sourire débordant de fierté en posant son étrange regard sur ma sublime personne. De son bracelet rouge en cuir pendait un diamant, comme ceux qu'on offre aux chiens, et d'ici je pouvais y lire l'inscription. Roscoe ? Un nom totalement inconnu.
La seule chose dont je me rappelais avant d'ouvrir les yeux était d'avoir bel et bien quatre pattes, une gueule et deux oreilles fièrement dressées en pointe. C'est pourquoi la vue de ces deux mains, la douleur dans ma tête, mes jambes cachées par la couverture me paniquaient.
- « Pas de panique Desoto, tu verras, on s'y fait vite. »Desoto ? A partir de ce moment ce fut mon nom. Un nom rappelé par le bracelet identique à celui de mon interlocuteur prenant place sur mon poignet droit, à la différence qu'il était bleu, et que rien n'y pendait, il était clouté. Desoto. Un nom vaguement familier. Que m'était-il arrivé, et surtout, qu'avait-il pu se passer pour que mes pattes disparaissent ? Sans doute un mauvais rêve, je pensais avoir rêvé d'une vie antérieure dans laquelle je fus chien. Le verdict est tombé quelques jours après, suite à une radio : traumatisme cranien et perte de la mémoire. ça expliquait bien des choses.
V - Comme du Déjà-vuVoilà près de deux ans que je m'étais remis de mon traumatisme, que je vivais convenablement. Roscoe m'a aidé au début, mais lorsqu'il ne m'a plus suffit je suis parti, l'abandonnant. J'ai vite pu retrouver mes repères auprès de la population, comme si, quelque part, j'avais toujours été auprès d'eux. Même des noms me semblaient familiers alors que je ne les connaissais pas. Je n'ai jamais apprécié celui que j'appelle familièrement le Roublard.
En revanche, cette belle femme fine se pavanant comme la reine de la rue m'intrigue, m'attire. J'avais fait mes débuts en tant que mannequin depuis environ six mois suite à l'interpellation de quelqu'un dans la rue. ça paye bien, grâce à ça j'ai pu prendre mon indépendance, un appart. D'ailleurs c'est dans cet appart que pour la première fois, une impression de "déjà-vu" se fit sentir. Me servant un verre, l'irrépressible envie d'essayer de boire avec la langue s'est imposée et j'ai essayé, pour rire. A ce moment là j'ai eu des vertiges et je me suis vite retrouvé par terre, inconscient. Quelques secondes tout au plus qui y ont suffit. Après tout, cela faisait plus ou moins deux semaines que je ne mangeais presque rien pour parfaire mon apparence, je devais être à bout de force.
Une vision réduite, basse, comme si ma hauteur avait diminué d'un bon mètre. Des bruits me faisant dresser les oreilles, et finalement une boule de poils rousse entaillant profondément mon museau. Un coup de sifflet, mon corps qui me désobéit pour suivre à grandes foulées celui d'un doberman au collier identique à celui de Roscoe.
Puis une voiture, et enfin le choc, la chute, et ma perte de conscience. Environ deux minutes suffisantes à me rafraîchir la mémoire un tant soit peu.
Me relevant une fois mes yeux ouverts, grognant, je réalisais au moins que j'avais vu juste la première fois que j'avais ouvert les yeux. S'il ne s'agissait que d'un mauvais rêve, j'eus alors l'ultime conviction que ma vie ne se résumait pas à un corps bipède. Je me sentais d'ailleurs bien plus à l'aise sur mes quatre pattes. Même cet ordre raisonnant dans ma tête me semblait naturel.
Roscoe, Desoto! Allez-y ...VI - How is today ?Aujourd'hui, quelques mois après cette perte de conscience soudaine, je nourris l'intime conviction d'avoir été un chien toute ma vie excepté ces dernières années.
Mon métier a pris de l'ampleur, aussi j'ai ma réputation à tenir, alors qui contacter ? Mais depuis quelques temps la ville semble en effervescence, comme si quelque chose d'important était arrivé. Des couples se séparent et de nouveau se créént comme s'ils se connaissaient depuis des mois alors qu'ils se sont rencontrés la veille. Mon affection pour cette inconnue se renforce et je désire l'aborder, flirter avec elle, l'éblouir par ma majestueuse personne. J'ai vingt-trois ans, je vis dans un appart seul, et j'enchaîne les conquêtes. Je sais montrer les crocs, grogner lorsqu'on m'emmerde. Libre, fier et capricieux, égoïste aussi, j'aime faire parler de moi. En quoi ça vous dérange ? Après tout je suis l'alpha ici.